Lors de la souscription d'une assurance-vie, le souscripteur désigne généralement dans le contrat un ou plusieurs bénéficiaires du capital en cas de décès.
Ces bénéficiaires peuvent être les héritiers légaux de l'assuré, mais peuvent également être un tiers. Les héritiers non désignés comme bénéficiaires peuvent alors invoquer la notion de "primes manifestement exagérées" après le décès du souscripteur, s'ils considèrent que les primes versées sont trop élevées par rapport au patrimoine du défunt, ou que celui-ci a souscrit volontairement le contrat dans le but de leur ôter tout droit de succession. Si la notion est établie, le capital est réintégré dans l'actif successoral.
Le capital d'une assurance vie n'est pas remis aux bénéficiaires désignés dans le contrat, mais sera réintégré dans l'actif successoral de l'assuré défunt lorsque les primes versées sont manifestement exagérées.
Qui peut invoquer la notion de primes manifestement exagérées ? Comment une prime est-elle jugée exagérée ?
Le caractère manifestement exagéré des primes s’apprécie au moment du versement des sommes sur le contrat, et non pas au décès du souscripteur lorsque s’ouvre sa succession.
Cependant, le législateur n'ayant pas précisé ce qu'il fallait entendre par prime manifestement exagérée, l’appréciation du caractère exagéré relève du pouvoir souverain des juges, au cas par cas. C'est la jurisprudence, par essence évolutive, qui définit le caractère manifestement exagéré des primes, selon un faisceau d’indices qui s’apprécient au moment du versement.
On peut notamment relever :l’âge avancé du souscripteur,la recherche du but poursuivi et l’absence d’intérêt ou d’utilité à l’opération du souscripteur,
l’appauvrissement (examen de la situation personnelle et familiale, patrimoniale et des revenus du souscripteur),l’origine de la prime versée.Le critère économique, à savoir le montant des versements par rapport aux revenus et au patrimoine du souscripteur, est également un indicateur possible de primes manifestement exagérées.
En l'occurrence, les tribunaux se réfèrent au patrimoine du défunt et à ses revenus pour mesurer l'ampleur des sommes versées. Ces dernières seront notamment jugées excessives si elles atteignent le tiers du patrimoine de l'assuré. Les juges tiennent également compte de l'utilité économique du contrat d'assurance-vie pour l'assuré, en se référant à son âge et à sa situation familiale. Ils considèrent aussi la raison pour laquelle la souscription a été effectuée. Dans tous les cas, le caractère manifestement exagéré des sommes payées auprès de l'assureur s'apprécie au moment du versement.
La jurisprudence n’admet les contrats d’assurance vie que s’ils réunissent deux exigences :
- Le contrat d’assurance vie doit présenter une utilité économique pour le souscripteur, qui doit y trouver un intérêt patrimonial. Ce fondement permet alors aux juges d’apprécier l’âge ou encore l’état de santé du souscripteur.
- Le contrat d’assurance vie doit se présenter comme une opération de pure prévoyance, et non de capitalisation
La jurisprudence a plus récemment multiplié ses fondements, en se référant à des critères subjectifs consistant à analyser des éléments rattachés à la personne du souscripteur, à savoir son âge, ou encore à l’utilité de l’opération pour ce dernier.
L’assurance vie, dans ses formes actuelles, est devenue de fait un instrument de contournement possible des droits des héritiers réservataires, le plus souvent au profit du conjoint, bénéficiaire (quasi) systémique du capital en cas de décès.
Depuis les années 1970, c’est à dire depuis que l’assurance a été reconnue comme mode pertinent de détention (choisi) d’un patrimoine, puis comme mode pertinent de transmission (subi) de ce qui en restera au jour du dénouement du contrat par le décès de l’assuré, les juges du fonds ont été, un peu plus fréquemment qu’auparavant, saisis sur ce fondement pour se prononcer sur l’excès, destiné à limiter ce qui pouvait être considéré comme abusif.
La Cour a non seulement fermé la voie de la requalification des contrats d’assurance en « pur placement », mais elle a également plus que rétrécit la voie des primes exagérées, en la soumettant à un critère d’utilité particulièrement mal adapté et, de ce fait, parfaitement inopérant.
L’utilité mise en avant par la haute cour signifie, pour le juge, l’obligation de rechercher le mobile réel de la souscription .Le contrat d’assurance a pour objet d’abord de protéger le souscripteur au travers de la détention d’une épargne destinée à l’accompagner tout au long de sa vie (prévoyance vie). Aura-t-il des ressources suffisantes pour lui permettre de financer les dépenses de vie et de fin de vie ? Il s’agit de conserver ses habitudes de vie (dépenses récurrentes) mais aussi de pouvoir faire face aux éventuelles dépenses exceptionnelles que la vie met à sa charge. Ce qui restera de ce placement au jour de son décès reviendra hors des voies successorales classiques aux bénéficiaires qu’il aura désignés (prévoyance décès). Différence essentielle avec un produit d’épargne classique (livret d’épargne, compte titres, parts de société civile immobilière, etc.) qui ne s’accompagne pas lors de son acquisition de la désignation par l’assuré du destinataire de sa valeur résiduelle au jour de son décès
L’âge devient un facteur positif dans le choix de détenir une part croissante de son patrimoine en assurance vie pour en confier la gestion aux assureurs qui savent mieux que d’autres gérer une épargne de long terme tout en lui assurant une disponibilité de court terme. C’est pour affirmer ces qualités « de vie » de l’assurance que les ministres des finances se sont opposés au déplacement du curseur d’âge . Les retraits possibles doivent demeurer la raison essentielle de la souscription.
Une défunte avait ainsi, de son vivant, souscrit plusieurs contrats d’assurance-vie, épargne-vie, entre 85 et 89 ans, au profit de sa fille (et du fils de cette dernière, petit-fils de la défunte), par ailleurs instituée légataire universel de sa succession (actif + passif) par testament.
Les sommes versées sur les contrats en question représentaient, environ, 25 % du patrimoine de la défunte (moyenne effectuée par les juges du fond !).
Les héritiers évincés, i.e, les deux frères de la bénéficiaire et légataire universel, fils de la souscriptrice et de la défunte-testatrice, ont intenté une action afin de remettre en question les contrats d’assurance-vie (qualification et primes exagérées)
Ils demandent, tout d’abord (1er moyen), la requalification des contrats en libéralités ordinaires .
Déboutés en appel, les héritiers intentent alors un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt d’appel pour ne pas avoir caractérisé l’utilité du contrat pour le souscripteur en n’abordant que l’aspect de la proportionnalité des sommes versées par le souscripteur par rapport à son patrimoine (24,83 %)
De même, prenons le cas de Monsieur X, âgé de 75 ans, veuf en premières noces, sous contrat de PACS avec Mme Y également veuve, âgée elle-même de 72 ans. M. X et Mme Y, de leur première union, ont chacun deux enfants.
Monsieur X a ouvert à l’âge de 70 ans un contrat d’assurance en euros, valeur au 1er janvier 2014 : 50.000 euros. Au titre de la désignation bénéficiaire, il a coché la case : « mon conjoint ou mon partenaire pacsé, à défaut mes enfants, nés ou à naitre, vivants ou représentés par suite du prédécès ou de renonciation ». Il est propriétaire de sa résidence principale et d’une somme d’argent provenant de l’arbitrage d’un immeuble de rapport (cédé au prix de 1.100.000 euros).
Monsieur X quelque peu influencé, comme beaucoup d’autres, par la publicité faite autour de la maladie d’Alzheimer s’inquiète pour lui-même. Cette maladie ne frappe pas que les autres. Il s’est informé du coût de l’hébergement dans une résidence médicalisée spécialisée dans cette maladie très invalidante. Il faut compter de l’ordre de 2.500 à 3.000 euros mois. Il ne veut surtout pas être à la charge de quiconque dans le cas où il serait frappé par cette maladie. Il décide d’investir sur son contrat d’assurance le capital nécessaire à l’obtention des ressources destinées à faire face à cette dépense. Il verse une nouvelle prime de 1.000.000 d’euros. A raison d’un rendement de l’ordre de 3 %, il peut espérer disposer des revenus nécessaires en cas de nécessité, revenus qu’il s’appropriera par des retraits planifiés au moment opportun. Si d’autres besoins surgissent, il sait qu’il pourra effectuer des retraits partiels majorés au prix d’une consommation de son capital. Il est rassuré.
Lors du versement de la prime, il a indiqué qu’elle était sa préoccupation, préoccupation clairement reprise dans le rapport patrimonial établi par son conseiller. On ne voit pas où pourrait se dissimuler une quelconque exagération dans une telle opération dont l’utilité est d’évidence.
Imaginons que, 12 ans plus tard, il décède, frappé ou non par la maladie. Le contrat d’assurance se dénoue au profit de sa partenaire Mme Y, pour un montant de l’ordre d’un million d’euros. Il a été effectué des retraits à hauteur des revenus produits. Ce million profite à Mme Y. Les enfants de M. X, pourtant héritiers réservataires, ne pourront que ressentir « aigreurs et rancœurs », sans que les tribunaux ne soient envahis. Toute action sur le fondement des primes exagérées seraient parfaitement inutile au vu de l’utilité du contrat. Pour obtenir les revenus souhaités par M. X, c’est toute la prime qui lui était nécessaire donc utile.
Le transfert de la créance du souscripteur au profit des bénéficiaires peut se faire « au nez et à la barbe » des réservataires éventuellement écartés et probablement très étonné .
Les primes comprises dans des contrats qui seront considérés comme une opération de prévoyance ne seront pas considérées comme excessives, à l’inverse de celles versées dans le cadre de contrats de placement.
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