18-01-2013
Les deux outils patrimoniaux que constituent la société civile et le
démembrement usufruit/nue-propriété s'associent utilement pour répondre à
des objectifs de transmission du patrimoine permettant à l’usufruitier
de conserver un contrôle sur les biens transmis et une source de
revenus. Bien que d’un usage courant, cette combinaison s’inscrit dans
un contexte complexe, tant sur le plan juridique s’agissant des pouvoirs
respectifs de l'usufruitier et du nu-propriétaire, que sur le plan du
traitement fiscal de la situation.
Sur la base de ces principes, on comprend que le sort des réserves est
fonction de la décision de l’assemblée générale, sachant que le droit de
vote relève en principe des prérogatives du nu-propriétaire mais qu’il
peut être attribué par les statuts à l’usufruitier. Il en est de même
pour le boni de liquidation.
L'application de ces règles, qui
donne à la décision de l’assemblée le pouvoir de déterminer l’existence
du fruit, peut conduire à des résultats choquants au plan économique. En
effet, en cas de décision de distribution massive de réserves prise par
l'usufruitier seul, il pourrait en résulter un véritable
appauvrissement de la société au détriment du nu-propriétaire. En
pareille situation, l’usufruitier pourrait être critiqué sur le terrain
de l'abus de jouissance pour atteinte à la consistance de la société.
L'arrêt de chambre commerciale de la Cour de cassation du 10 février
2009 illustre les enjeux attachés à la question de la répartition des
prérogatives pécuniaires entre usufruitier et nu-propriétaire de parts
sociales.
En l'espèce, Madame C. avait constitué en 1989 avec ses
trois enfants une SCI dont elle avait souscrit quasiment toutes les
parts.
Quelques mois plus tard, elle avait fait donation de la
nue-propriété des parts aux trois enfants. Les assemblées générales
ordinaires se prononçant sur l’affectation des bénéfices des exercices
1995, 1996, 1998 et 2000 avaient décidé la mise en réserve des
bénéfices. L'administration fiscale s’était alors fondée sur cette mise
en réserve prétendument systématique pour soutenir, faute de
justification de l’intérêt pour la société de cette mise en réserve,
l'existence d'une donation indirecte au profit des enfants et la taxer
en tant que telle.
La Cour de cassation écarte la qualification
de donation indirecte au motif que : « les bénéfices réalisés par une
société ne participent de la nature des fruits que lors de leur
attribution sous forme de dividendes, lesquels n'ont pas d'existence
juridique avant l'approbation des comptes de l'exercice par l'assemblée
générale, la constatation par celle-ci de l'existence de sommes
distribuables et la détermination de la part qui est attribuée à chaque
associé ; qu'il s'ensuit qu'avant cette attribution, l'usufruitier des
parts sociales n'a pas de droit sur les bénéfices et qu'en participant à
l'assemblée générale qui décide de les affecter à un compte de réserve,
il ne consent aucune donation au nu-propriétaire ».
La Cour
confirme donc que seul le bénéfice distribué par la société a la nature
de fruit et non le bénéfice réalisé par celle-ci et potentiellement
distribuable. Cette position, qui repose sur l’existence de la
personnalité morale de la société, consacre la souveraineté des
décisions prises par l’assemblée générale.
Une société civile est détenue par un couple et ses deux enfants, les parents ayant vocation à percevoir, ensemble, 95 % des bénéfices distribués. Au cours d’une assemblée générale, les associés décident à l'unanimité que, pendant une durée de 5 ans, la répartition des dividendes s'effectuerait à proportion de 17 % pour chacun des parents et de 30, 5 % pour chacun des enfants.
Pour l’administration fiscale, en renonçant à une éventuelle distribution de bénéfices pendant 5 ans, les parents ont en réalité consenti une donation indirecte au profit de leurs enfants. En conséquence, elle soumet aux droits de mutation à titre gratuit les distributions de dividendes réalisées au cours de cette période au profit des enfants.
Contrairement aux juges du fond qui ont validé ce raisonnement, la Cour de cassation dans cette affaire du 18 Décembre 2012 (Cassation civile Pourvoi N° 11-27741 )considère que la modification de la répartition statutaire des bénéfices ne constitue pas une donation indirecte.
Tout d’abord, cette nouvelle répartition résulte d'une décision collective des associés. Et le fait que les parents aient participé à la décision de l’organe social n’implique pas qu’ils aient consenti à une donation ayant pour objet un élément de leur patrimoine.
Ensuite, les bénéfices réalisés par une société ne participent de la nature des fruits que lors de leur attribution sous forme de dividendes. Or ceux-ci n'ont pas d'existence juridique avant la constatation de l'existence de sommes distribuables par l'organe social compétent et la détermination de la part attribuée à chaque associé. La Haute juridiction en déduit que les parents n’étant titulaires d’aucun droit sur les dividendes attribués à leurs enfants, ils n’ont pu consentir aucune donation ayant ces dividendes pour objet.
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