19-10-2012
La Cour de cassation a eu l’occasion de repréciser la portée de la « réserve héréditaire », face au mécanisme de l’assurance sur la vie.
La protection de la réserve destinée aux héritiers réservataires (c'est-à-dire les héritiers qui doivent obligatoirement recevoir une part de l'héritage du défunt) peut amener à reprendre une partie des fonds versés comme prime d'assurance vie à une personne tiers afin de les reverser aux héritiers réservataires s'il s'avèrent que ceux-ci sont lésés par cette prime. Le calcul de la réserve se fait alors au jour du décès de l'assuré et non au moment du versement des capitaux sur le compte. Le calcul se fait selon le procédé complexe illustré par l'exemple suivant.
Voici une situation dans laquelle un homme, père de deux enfants, souscrit une assurance vie au profit d'un de ses neveux.
Il verse sur cette assurance vie 500 000 €.
A sa mort, les capitaux présents sur l'assurance vie sont alors de 600 000 € avec les intérêts produits, alors que le capital total entrant dans l'actif successoral du défunt est de 400 000 €. Ses enfants se plaignent donc que le part de réserve soit entamée par la prime d'assurance vie versée au neveu. On effectue alors le calcul suivant pour rééquilibrer l'héritage :
Le capital total pris en compte est de 500 000 € de prime versés sur l'assurance vie, plus 400 000 € de capitaux de l'actif successoral du défunt, soit 900 000 € considérés. On ne considère pas les intérêts qui sont dans tous les cas acquis au bénéficiaire.
Dans la situation telle qu'elle a été prévue par le défunt, les enfants devraient se partager les 400 000 € de capitaux présents sur l'actif successoral, soit 200 000 € chacun. Le neveu devrait recevoir la prime de l'assurance vie, soit 500 000 € de versement effectué par le souscripteur et 100 000 € d'intérêts, soit 600 000 €.
Le défunt ayant deux enfants, ceux-ci sont héritiers réservataires à hauteur de deux tiers, un légataire universel désigné par testament ne pouvant alors prétendre qu'à un tiers de l'héritage (voir rédaction).
On calcule alors que les enfants peuvent prétendre à 600 000 € (300 000 € chacun) en tant qu'héritiers réservataires et que le neveu ne peut percevoir que 300 000 € de capital, plus les 100 000 € d'intérêts acquis.
On procède donc à une réduction de l'assurance vie correspondant au trop-perçu, soit 200 000 €, qui est alors reversé aux héritiers réservataires pour équilibrer.
Ainsi, au final, les héritiers réservataires reçoivent 600 000€, soit 300 000 € chacun, et le neveu bénéficiaire de l'assurance vie perçoit le reste de la prime d'assurance vie corrigée de 300 000 € majorée des intérêts produits, soit 400 000 € au total.
Pour simplifier, il peut parfois être simplement décider de retirer le montant des primes visiblement exagérées du capital de l'assurance vie transmise pour le réintégrer à l'actif successoral du défunt.
Autre contexte factuel :
Dans cette affaire, un testament avait prévu de léguer l’intégralité des
contrats d’assurance – vie à la fille du défunt. Un petit – fils, ayant
la qualité d’héritier, en représentation du fils du défunt prédécédé,
s’est cru lésé et a intenté une action judiciaire.
« R... X..., veuf de M L... Z..., est décédé en 2003 en laissant pour lui succéder M. A... X..., son petit fils, venant par représentation de T... X..., son père, prédécédé et Mme F... X..., épouse Y..., sa fille, et en l’état d’un testament olographe léguant à cette dernière la quotité disponible de sa succession et précisant que dans son lot devront figurer “l’intégralité des contrats d’assurance vie” ; qu’il avait souscrit le 7 avril 1999 un contrat d’assurance vie auprès de la société N. avec stipulation que le bénéficiaire était le contractant lui-même et, en cas de décès de celui ci, le conjoint, à défaut ses enfants vivants et, à défaut, ses héritiers ; que M. A... X... a fait assigner Mme Y... aux fins d’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage des communauté et successions réunies des époux X...-Z... « ;
A hauteur d’appel, M. A... X... a été débouté de sa demande tendant à ce que le capital d’assurance vie versé à Mme F... X... soit pris en compte dans la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible, en retenant d’une part, que, contrairement à ce qu’affirmait M. A... X..., son père ne pouvait être le bénéficiaire du contrat d’assurance vie puisqu’il était décédé antérieurement à la souscription du contrat, d’autre part, qu’il ne rapportait pas la preuve de l’intention libérale relatif à la donation puisque l’assurance vie suppose un aléa, enfin, que les primes versées n’étaient pas manifestement exagérées compte tenu des facultés contributives de R... X... eu égard à l’importance de son patrimoine mobilier et immobilier ;
Or, pour la haute juridiction, R... X... avait, dans son testament, exprimé la volonté que le capital d’assurance vie soit pris en considération pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible en précisant que ce capital devrait être inclus dans le lot de sa fille, légataire de la quotité disponible. Ainsi, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences légales.
Arrêt n° 762 du 8 juillet 2010 (09-12.491) - Cour de cassation - Première chambre civile
Dernier cas récent :
Un père de trois filles souscrit un contrat d'assurance-vie. Dans son testament olographe, il déclare léguer le capital d'un contrat d'assurance vie à sa fille ainée et aux deux enfants de celle-ci.
Ses deux autres filles s'estiment lésées. Elles assignent leur soeur en liquidation et en partage de la succession estimant que ce capital constitue une libéralité, avec toutes les conséquences successorales qui s'en suivent, telles que la réductibilité pour atteinte à la réserve héréditaire.
La Cour d'Appel fait droit à cette requête et ordonne le séquestre du capital d'assurance vie.
Les bénéficiaires du capital-décès se pourvoient en cassation car ils estiment qu'il résulte des articles L132-8 et L132-12 du Code des assurances que « le capital stipulé payable lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ne fait pas partie de la succession de l'assuré » puisque « le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, laquelle peut être faite par testament, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat ».
La Cour de cassation rejette ce pourvoi, considérant que : "qu'après avoir relevé que le testament énonce que le défunt déclare léguer le capital du contrat d'assurance-vie à sa fille Catherine et aux deux enfants de celle-ci, c'est par une appréciation souveraine de sa volonté que la cour d'appel a admis que le souscripteur avait entendu inclure ce capital dans sa succession et en gratifier les bénéficiaires désignés."
Cassation Civile du 10/10/12 n°11-17891
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