10-09-2012
Les successions agricoles présentent souvent une certaine complexité, liée entre autres à l'importance du patrimoine à répartir.
La succession peut en outre être perturbée, dans certains cas, par les
salaires différés que revendiquent certains héritiers, au titre du
travail qu'ils ont effectué dans leur jeunesse sur l'exploitation
agricole familiale, et pour lequel ils n'auraient pas été rémunérés par
leurs parents.
Dans les successions agricoles, la discussion achoppe souvent sur la
preuve du salaire différé que revendique l'un ou l'autre des
descendants.
Pour établir cette preuve, il est possible de recourir au témoignage
d'anciens voisins qui pourront attester par écrit de la réalité et de la
continuité du travail.
Les personnes qui revendiquent une créance de salaire différé apportent
souvent devant le juge leurs reconstitutions de carrière établies par la
MSA en vue de leur départ en retraite. De tels documents peuvent
notamment indiquer que l'intéressé a cotisé en qualité d'aide familial
sur certaines périodes, ce qui peut constituer un indice favorable à
l'attribution d'un salaire différé.
Lorsque l'intéressé a établi la preuve d'un travail non occasionnel sur
l'exploitation familiale, il lui faut encore rapporter la preuve d'une
absence de rémunération. Il faut non seulement démontrer l'absence de
versement de salaire, mais également prouver l'absence d'avantages en
nature assimilables à une rémunération.
Ainsi, celui ou celle qui
a reçu de ses parents du bétail ou du matériel agricole lors de son
installation en tant qu'exploitant, pourra se trouver handicapé lors de
la présentation de sa demande de salaire différé : selon les cas, ces
avantages en nature pourront être requalifiés en rémunération du travail
accompli.
On le voit, la tâche n'est pas nécessairement simple
pour celui qui entend revendiquer lors d'une succession une créance de
salaire différé. La jurisprudence est même relativement sévère, en ce
qu'elle exige de rapporter la preuve de faits qui se sont produits bien
des années auparavant.
Il est fréquent et souhaitable que des frères et sœurs reconnaissent à
l'amiable l'existence d'une telle créance, rémunérant ainsi avec
quelques décennies de retard la contribution de l'un d'eux à
l'exploitation familiale.
Selon la Cour de cassation, il appartient à celui qui revendique un salaire différé de rapporter la preuve de sa créance.
Lorsqu'ils travaillent chez leurs parents, les intéressés peuvent
remplir chaque année une déclaration en Mairie, qui sera revêtue de la
signature du Maire et qui pourra servir de preuve indiscutable le moment
venu.
Quand un enfant, après sa majorité, travaille bénévolement dans l'exploitation agricole de ses parents, il peut dans certaines conditions être rétribué plus tard (souvent, beaucoup plus tard).
Il est « réputé légalement bénéficiaire d'un contrat de travail à salaire différé » (article L 321-13 du code rural ).
Concrètement, cela veut dire par exemple que si Pierre a travaillé de cette manière pendant 12 ans, entre ses 18 ans et ses 30 ans (entre 1978 et 1990), il peut recevoir au décès de son père (l'exploitant), cette année (2012), une rémunération calculée d'après le SMIC et prélevée sur la succession.
Ses frères et sœurs qui n'ont pas travaillé à l'exploitation n'ont pas droit à une telle somme : celle-ci viendra en déduction de leur propre héritage.
Le texte de référence en la matière est l'article L 321-13 du code rural, et plus précisément ses deux premiers alinéas :
« Les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de dix-huit
ans, participent directement et effectivement à l'exploitation, sans
être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de
salaire en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés
légalement bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé (...)
Le taux annuel du salaire sera égal, pour chacune des années de
participation, à la valeur des deux tiers de la somme correspondant à 2
080 fois le taux du salaire minimum interprofessionnel de croissance en
vigueur, soit au jour du partage consécutif au décès de l'exploitant,
soit au plus tard à la date du règlement de la créance, si ce règlement
intervient du vivant de l'exploitant ».
Le code rural précise que pour être indemnisé par un « salaire différé », le fils ou la fille de l'exploitant doit participer « directement et effectivement à l'exploitation ». Mais il ne rentre pas dans le détail, et n'indique pas si une participation permanente de l'enfant est nécessaire (par exemple : avoir travaillé de manière continue pendant x années), ou si une participation ponctuelle (activités saisonnières) peut être également retenue.
Dans l'affaire qu'a eu à trancher récemment la cour de cassation, la cour d'appel de Poitiers avait rejeté la demande qui avait été présentée par une femme après le décès de sa mère (exploitante). Motif ? L'activité exercée ne constituait qu'une aide occasionnelle, qui ne pouvait pas être assimilée à un véritable travail méritant salaire. Et cela d'autant moins que la personne concernée exerçait ailleurs deux autres activités rémunérées ! La cour de cassation a validé le raisonnement des juges d'appel : l'aide aux parents étant seulement occasionnelle, la « créance de salaire différé » ne peut pas être retenue dans le cadre d'une activité saisonnière, qui était de surcroît réduite dans cette affaire.
Il ne suffit pas de rapporter la preuve d'un travail épisodique ou
occasionnel sur l'exploitation agricole familiale : la jurisprudence ne
retient pour le calcul des créances de salaire différé que les périodes
de travail continu et non occasionnel.
Cour de cassation, arrêt du 20 juin 2012 (n° 11-20217).
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