06-04-2012
"Sans égard pour la motion votée en
Assemblée générale par le Conseil national des barreaux, que j’ai pris le
soin de faire porter aussitôt au ministre de la justice, vient d’être
publié ce 4 avril le décret « passerelle » qui ajoute au décret du 27
novembre 1991 un nouvel article 97-1 rédigé comme suit :
« les personnes justifiant de
huit ans au moins d’exercice de responsabilités publiques les faisant
directement participer à l’élaboration de la loi sont dispensées de
la formation théorique et pratique et du certificat d’aptitude à la
profession d’avocat ».
L’imprécision de cette rédaction
justifie le recours que j’ai demandé au président Didier Le Prado de
former devant le Conseil d’État.
Notre profession a toujours été
ouverte, refusant toute barrière excessive à l’entrée et tout numerus
clausus. C’est son honneur. Elle n’a jamais fait obstacle à ce que des
juristes ayant une expérience professionnelle sérieuse dans d’autres
métiers rejoignent le Barreau dès lors que les anime le désir de servir
dans le respect de notre indépendance, du secret que nous devons à ceux
qui se confient à nous et de notre exigeante déontologie.
Telle est la raison pour laquelle il
est nécessaire de définir les critères précis qui permettront ensuite aux
barreaux, en vertu de la maîtrise souveraine de leur tableau, d’admettre
ou de refuser l’inscription de tel ou tel candidat à la profession
d’avocat.
Si le décret a fort opportunément
ajouté une condition à l’accès à la profession, notamment des juristes
d’entreprise, en les soumettant à un examen de contrôle des connaissances
en déontologie et règlementation professionnelle, les personnes qui
bénéficieraient de la dérogation issue de ce nouvel article 97-1 seraient
dispensées de cet examen, et ne seraient soumis qu’à une obligation de
formation de vingt heures.
On est en droit de demander quelles
qualités effectives justifient ce privilège. Or la définition de l’article
97-1 est d’une totale imprécision.
Que signifie l’expression «
exercice de responsabilités publiques » ? S’agit-il de simples
fonctionnaires ayant travaillé dans le service de législation d’un
ministère ? Ou s’agit-il d’élus de la Nation ? En ce cas, pourquoi ne pas
l’avoir dit ?
La suite du texte est aussi vague,
qui précise qu’il s’agirait de responsabilités publiques « faisant
directement participer à l’élaboration de la loi ».
Qu’est-ce que la participation
directe à l’élaboration de la loi ? Le texte vise-t-il tous les rédacteurs
et rédactrices chargés de préparer les propositions ou les projets de lois
et/ou, sans distinction, tous les parlementaires, quelles que soient les
commissions où ils ont été appelés à siéger et quand bien même ils
n’auraient que rarement assisté à des débats en Assemblée, donnant leur
pouvoir à un collègue pour voter à leur place la plupart du temps ?
Enfin, malgré les demandes que nous
avions formulées, il n’est fait aucune référence à une condition de
diplôme, même si cette condition est inscrite dans la loi.
M’objectera-t-on qu’on ne saurait déroger à une loi par un décret ?
Certes, mais il eût été si simple d’accepter la lourdeur d’une répétition
plutôt que de semer le trouble en donnant l’impression de vouloir à tout
prix, dans l’urgence, trouver un point de chute pour d’éventuels recalés
des prochaines élections législatives.
Le CNB avait proposé de désigner
nommément dans le décret ceux qui bénéficieraient le cas échéant de cet
accès parallèle : les députés, les sénateurs et les ministres titulaires
d’au moins une maîtrise en droit et ayant pendant huit années travaillé
effectivement, en raison de leurs qualités de juristes, à l’élaboration de
textes législatifs. S’y ajoutait la condition d’une formation d’au moins
vingt heures en déontologie préalable à l’admission au Barreau.
Les avocats ne nourrissent aucune
suspicion a priori et sont les premiers à revendiquer la présomption
d’innocence. Ils ne nourrissent pas la mauvaise pensée qu’un ancien
parlementaire devenant avocat se consacrerait à faire du trafic
d’influence. Un carnet d’adresses ne pèse que le poids de son titulaire ;
une fois la fonction perdue, l’encre a tendance à s’estomper. Il suffit de
penser à tels ou tels de nos confrères qui, devenus parlementaires puis
revenus ensuite au Barreau, ont eu les plus grandes difficultés à
reconstituer un cabinet.
Il n’y a dans l’attitude du Conseil
national des barreaux ni parti pris de méchanceté, ni jalousie, ni
frilosité, mais le seul désir que ceux qui nous font l’honneur de nous
rejoindre, loin de banaliser le nom que nous portons, nous rendent au
contraire fiers de les compter parmi nos nouveaux confrères."
Christian Charrière-Bournazel
Président du Conseil national des barreaux
Plus d'infos:
Décret 2012-441 du 3 Avril 2012
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